Après plusieurs semaines de calme sur fond de crise institutionnelle, la machine politico-médiatique vient d’être relancée à fond de train sur les questions de sécurité et de justice.
L’emballement a commencé avec la nomination de Didier Migaud en tant que garde des Sceaux, au deuxième rang dans l’ordre protocolaire de l’exécutif en geste « d’ouverture» et avec celle de Bruno Retailleau comme ministre de l’Intérieur – signe beaucoup plus explicite de l’orientation du nouvel exécutif. Si le premier a d’ores et déjà assuré qu’il défendrait l’indépendance de l’autorité
judiciaire, le second n’a pas attendu 24 heures avant de mettre ce serment à rude épreuve.
Depuis hier et l’hyperfocalisation des médias sur un fait criminel visant une femme, révoltant et d’une gravité exceptionnelle, les détournements politiques, l’activation d’une rhétorique xénophobe
et les classiques procès en laxisme de la justice se sont appuyés sur les propos du ministre de l’Intérieur qui, la veille, avait dénoncé l’existence d’un « véritable droit à l’inexécution des peines ».
Une telle formulation repose sur plusieurs confusions : d’une part, entre l’inexécution des peines idée fallacieuse puisque près de 95 % des peines sont exécutées dans les cinq ans de leur prononcé
et les délais de mise à exécution de ces peines, certes parfois indus faute de moyens matériels et humains. D’autre part, entre la peine et ses modalités d’exécution. La loi prévoit en effet qu’une peine d’emprisonnement peut être effectuée en prison, ou dans certaines conditions, sous bracelet électronique, en placement extérieur ou sous une autre forme aménagée.
Mais une troisième confusion, aussi démagogique que dangereuse, est à l’oeuvre : établir une causalité directe entre la non-exécution d’une mesure d’éloignement d’un étranger en situation irrégulière et son passage à l’acte criminel. Penser le crime à travers la question de l’immigration focalise le débat sur la question de l’expulsion des personnes étrangères en situation irrégulière et empêche de réfléchir aux solutions pour une peine juste et efficace. Ces questions doivent,
l’opposé, être envisagées à travers la capacité de la société toute entière à prévenir les féminicides et la récidive, quelle que soit la nationalité des personnes condamnées.
Sur ce point, des dizaines d’études montrent que la prison n’a pas d’effet sur la récidive, contrairement aux accompagnements concrets, continus et individualisés des personnes condamnées
pendant l’exécution de leur peine – que ce soit en prison ou à l’extérieur sous d’autres formes. Or, l’institution judiciaire et l’administration pénitentiaire n’ont toujours pas les moyens d’appliquer la loi pour remplir leur mission de prévention de la récidive; les structures médico-sociales nécessaires – unités de soins et de suivi psychologique en détention ou en centres de rétention,
centres médico-psychologiques et services d’addictologie, centres d’hébergement et de réinsertion sociale – sont gravement sous-dotées, voire, dans certains territoires, inexistantes. À cela s’ajoute
une surpopulation pénale et carcérale grandissante, qui compromet gravement l’accompagnement au cours de la peine.
Ne laissons pas le débat public basculer dans la vendetta collective, la surenchère et les obsessions xénophobes, au détriment de l’oeuvre de justice. Posons-nous les bonnes questions sur les missions de celle-ci et les moyens qu’il faut se donner collectivement pour qu’elle puisse les assumer.