Balazuc, un hommage à France et Gilbert Serret
Ce dimanche 29 juin, à l’appel de l’IHS-CGT de l’Ardèche et de la FSU 07, une cinquantaine de personnes se sont réunies au cœur du hameau du Viel Audon, à Balazuc, pour honorer la mémoire de France et Gilbert Serret, figures majeures du syndicalisme révolutionnaire et enseignant de l’entre-deux-guerres.
Devant les falaises de l’Ardèche, non loin du lieu où Gilbert fut assassiné le 30 juin 1943, une plaque commémorative a été dévoilée. Elle rappelle leurs combats pour une école laïque et émancipatrice, leur refus de parvenir, leur engagement antifasciste, pacifiste, anticolonialiste, et leur rôle essentiel dans l’animation de la CGT, de la Fédération Unitaire de l’Enseignement et des comités de vigilance antifascistes.
La cérémonie a débuté par un mot d’accueil du collectif du Viel Audon, suivi d’une allocution commune au nom de la FSU 07 et de l’IHS-CGT 07 par Marc Zanoni, retraçant avec justesse l’éthique radicale et l’exigence pédagogique qui guidèrent leur vie et leur engagement syndical. Le maire de Balazuc a ensuite salué l’importance de cette initiative pour l’histoire locale et la mémoire militante.
Lors de la cérémonie de nombreuses organisations étaient représentées : FSU 07, IHS CGT 07, UD CGT 07, UL CGT Aubenas, Libre Pensée 07-26, ARAC 07, CNT Interpro 07, MATP.
(Le discours est reproduit ci-dessous.)
Des photos de l’événement sont jointes à ce compte rendu.
Nous appelons également la presse locale à relayer cet hommage, dont l’importance historique dépasse le cadre syndical pour nourrir la mémoire sociale de l’Ardèche.
Genebrier Léo pour l’IHS CGT 07
Valérie Benmimoune pour la FSU 07
Inauguration de la plaque commémorative de France et Gilbert Serret
Le Viel Audon, Balazuc, 29 juin 2025
Intervention de l’institut d’histoire sociale de la CGT et de la FSU de l’Ardèche
Il y a 82 ans, le 29 juin 1943, France Serret, institutrice de la classe unique de filles de l’école de Balazuc donne l’alerte : son mari, Gilbert, instituteur de la classe de garçons, n’est pas rentré de son jardin au bord de l’Ardèche. Les habitants de Balazuc le cherchent toute la nuit et le retrouvent le lendemain, mort dans un gour, un trou dans le front, un bras en avant. Des bergères sur les falaises de l’autre rive affirment avoir remarqué deux individus qui observaient Gilbert longuement…
Qui étaient France et Gilbert Serret ? Et qui a tué Gilbert ?
Des pédagogues ardéchois
France et Gilbert sont un couple d’instituteurs, pédagogues chevronnés dont les qualités sont reconnues par leur hiérarchie (maîtres d’élite), très appréciés des élèves et des familles. France a participé avec Célestin Freinet au développement de l’imprimerie à l’école, de la correspondance scolaire, à la pédagogie active, c’est-à-dire donner du sens l’enseignement tout en structurant les connaissances des élèves dans une perspective émancipatrice ; à Balazuc, ils ont créé un jardin avec des plantes médicinales, un verger, un atelier de réparation. Avant d’arriver à Balazuc à la rentrée 1942, ils ont d’abord enseigné au Pouzin, à Vallon-Pont-d’Arc, à St Montan (9 ans), à Lablachère (3 ans), et ont été déplacés en Haute-Loire.
Partout où ils sont nommés, ils se passionnent pour leur territoire : botanique, occitan, patrimoine local, savoirs ancestraux pour elle, agriculture, industrie, histoire et économie pour lui.
Syndicalistes
Ils sont également militants syndicaux à la section ardéchoise du syndicat des membres de l’enseignement laïque affilié à la fédération unitaire de l’enseignement de la CGT Unitaire. En 1928, Gilbert est élu secrétaire départemental du Syndicat des instituteurs et institutrices d’Ardèche. De 1930 à 1932, il est secrétaire général de la FUE avec des responsabilités nationales et internationales. En Ardèche, à la CGTU, il est apprécié des cheminots et métallurgistes du Teil, des ouvriers du textile de la Voulte comme des chaufourniers de Cruas ou des céramistes de Bourg Saint-Andéol. France sera toujours à ses côtés, particulièrement en assurant son secrétariat, mais également en s’investissant dans les groupes pédagogique et féministe et dans la presse du syndicat.
Antifascistes et antistaliniens
Les convictions des Serret et leurs échanges avec Élie Reynier, professeur d’École normale et président de la Ligue des droits de l’Homme et la philosophe Simone Weil, les amènent à s’engager contre la guerre, le colonialisme et le fascisme. En Ardèche, Gilbert anime le front unique antifasciste et n’hésite pas à partir de 1934 à manifester sous les fenêtres du député d’Annonay, Xavier Vallat, qui ne l’oubliera pas. Au sein de la CGTU où il est minoritaire, Gilbert Serret s’oppose au tour stalinien pris par la direction et à son alignement sur le régime soviétique, régime qui selon lui « … est devenu césarien et n’est plus au service de la classe ouvrière… ».
Ces prises de position, révolutionnaires pour l’époque, leur combat inlassable pour l’école publique, dérangent. En 1938, les Serret sont à l’école de Lablachère. Gilbert en est le directeur. En septembre 1940, il est victime d’une dénonciation anonyme. Malgré son innocence, il est déplacé avec France dans une zone très isolée de Haute-Loire en mars 1941. En septembre 1941, le couple se rapproche du Puy-en-Velay et retrouve un réseau d’amis.
En juillet 1942, les Serret bénéficient d’une mesure nationale « d’apaisement ». Ils reviennent en Ardèche, à Balazuc, malgré l’opposition de l’ancien préfet (qui les a déplacés), du préfet Esquirol, un authentique préfet fasciste, et du député Xavier Vallat, de sinistre mémoire (haut-commissaire aux questions juives) et ennemi de longue date de Gilbert.
Mi-juin 1943, la gendarmerie de Largentière réclame des photos d’identité aux Serret, Gilbert proteste, le commandant de la brigade lui affirme que cette demande n’émane pas de son service. Après sa mort, sous la pression des élus et de France, une enquête de la gendarmerie est ouverte et conclut qu’il pourrait s’agir d’un accident. La thèse de l’assassinat, sans doute par des agents pétainistes, ne fait plus guère de doute aujourd’hui.
A la rentrée 43, France est nommée directrice de l’école de filles de Ruoms et y restera jusqu’à la fin de sa carrière. Son action forcera l’admiration des parents, des inspecteurs, comme celle de ses élèves. Elle continuera à militer comme pédagogue et déléguée du personnel jusqu’à sa retraite le1er octobre 1955. Elle décède en 1979 à Aubenas et est enterrée aux côtés de Gilbert et leur fils René, mort à 5 ans, dans son village natal de Grospierres.
Marc Zanoni, FSU 07.
