Finalement le procès n’aura pas eu lieu. Les 16 et 23 janvier, le procès au pénal contre Angelo Lucifero, syndicaliste dans le secteur des banques et assurances et militant antifasciste actif, devait avoir lieu à Erfurt (capitale régionale de la Thuringe, en ex Allemagne de l’Est). Mais les conditions matérielles de déroulement des audiences, ainsi que les difficultés auditives de l’accusé, ont fait que le procès a été reporté sine die quelques minutes seulement après son ouverture.
Alors que les débats s’ouvraient le mercredi 16 janvier à une heure matinale, plus d’une centaine de militants et sympathisants du syndicaliste ainsi que de la cause antifasciste avaient afflué vers la salle du tribunal qui se révéla trop petite pour pouvoir les accueillir tous. Dès l’annonce du report du procès, les militants traversèrent la ville d’Erfurt en manifestation de solidarité avec l’accusé.
Que lui est-il reproché ? Le 15 mars 2007, des militants de la gauche d’Erfurt avaient organisé un rassemblement, auquel participèrent environ 25 personnes. Cet événement faisait partie d’une série de rassemblements publics hebdomadaires contre les politiques néolibérales et de casse sociale, mais ce jour-là, il était consacré à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, avec un discours du président de la communauté juive locale. Comme souvent dans cette partie de l’Allemagne, ce rassemblement fut attaqué par une trentaine de sympathisants ou membres du NPD, le plus important parti néonazi d’Allemagne, localement bien implanté. Ce parti se trouve actuellement à un niveau de 9 % des intentions de vote dans les sondages effectués au plan régional.
Angelo Lucifero a fait, régulièrement, l’objet de menaces physiques, d’actions de sabotage ciblant sa voiture ou d’agressions violentes de la part de l’extrême droite. Pour cette raison, et sous l’emprise de la peur, cet Allemand d’origine italienne possédait un pistolet d’alarme – une arme qui ne tire que des « coups à blanc » mais n’est pas susceptible de tuer une personne – dont il fit usage ce jour-là pour lancer du gaz lacrymogène. Si la Confédération des syndicats allemands (DGB), représentée par son président régional Steffen Lemme, prit tout de suite ses distances (« Nous disons non aux armes »), de nombreux connaisseurs de la situation locale très tendue comprirent parfaitement cette réaction face à une menace qui, au quotidien, n’est pas uniquement de nature politique mais bien souvent physique. Le procureur de la République local déclencha cependant l’action publique contre le syndicaliste pour « port d’arme prohibée » (demandant un an de prison avec sursis ainsi que 120 journées de salaires à titre d’amende), relayé par des militants néonazis se disant victimes. Parmi les parties civiles soutenant l’accusation, Hanjo Wegmann, un activiste qui propose des cours d’arts martiaux et de techniques de combat aux néonazis locaux sous couvert d’une association sportive (cf. site de.indymedia). Pour le moment, ces accusations n’ont pas abouti à une condamnation.
Le pire était cependant à venir. A la mi-décembre 2007, la fédération syndicale Ver.di (Vereinte Dienstleistungsgewerkschaft, Syndicat unifié des services) de la région de Thuringe, qui emploie Angelo Lucifero dans sa fonction de secrétaire syndical, a entamé une procédure de licenciement contre lui. Etait-ce la volonté de ne pas heurter des sensibilités droitières, fortes au plan local, pour arrondir les angles des adversaires du syndicat et gagner ou conserver les faveurs de l’opinion publique ? Etait-ce le fait que les milieux syndicalistes et leurs sympathisants sont, dans cette région est de l’Allemagne en partie contaminés ou pénétrés par les idées racistes et les thèmes de campagne de l’extrême droite ? En tout cas, la section régionale de Ver.di, fédération syndicale qui forme une des plus grosses structures de la Confédération des syndicats allemands (DGB), souhaitait se débarrasser de ce secrétaire encombrant qu’est devenu, à ses yeux, Angelo Lucifero. (cf. site Freies Wort.de)
A l’appui de la procédure de licenciement, le président régional de Ver.di, Thomas Voss, fit valoir qu’Angelo Lucifero aurait « justifié la violence » en se justifiant après coup de son comportement. Par ailleurs, la direction régionale de la fédération syndicale insiste beaucoup pour dire qu’il n’y aurait « aucun lien » entre la procédure de licenciement lancée contre Lucifero et le procès. Il n’en reste pas moins que – par une réaction incontestablement démagogique – le président local du parti néonazi NPD annonça, dès l’annonce du lancement de la procédure de licenciement, qu’il allait adhérer personnellement à la fédération syndicale Ver.di « vu le dégel que nous y constatons (vis-à-vis de nos idées) ».
A l’appui de sa demande de licenciement, Thomas Voss, président régional de Ver.di, ajoute aux reproches adressés à Angelo Lucifero que celui-ci aurait « conduit des combats personnels aux frais du syndicat ». En question, des publications contre l’extrême droite et le racisme ainsi que la gestion d’une liste de diffusion par e-mail consacrée à ces questions. Dans des congrès locaux, Ver.di avait décidé, par le passé, de soutenir ces activités antifascistes. Cependant, son président régional reproche désormais à Angelo Lucifero « d’avoir abondamment utilisé le téléphone et la machine à affranchissement postal » de sa structure pour mener ce combat.
Une pétition de militants syndicalistes, dont de nombreux membres de Ver.di, circule contre ce projet de licenciement. Les chefs régionaux et fédéraux (nationaux) de cette fédération syndicale ont par ailleurs reçu plusieurs centaines de fax de protestation. La campagne de solidarité avec Angelo Lucifero se poursuit. Un site d’information syndicale et sociale a d’ailleurs créé une rubrique permanente consacrée à ce sujet : Labournet.de/diskussion